La chorégraphe Marie Cambois et la metteuse en scène Perrine Maurin font le pari d’un travail collectif sur scène où des femmes agissent dans une répétition hypnotique d’actes multipliés et décalés. Les mains trient, rangent ces innombrables habits, objets réels ou imaginaires jusqu’à former une danse d’une répétitivité envoûtante.
Le problème sans nom s’articule autour d’une enquête sonore menée par Perrine Maurin sur ce qu’est une mère, ce qui la constitue, sa fonction, son héritage, ses doutes. De loin, être mère paraît évident, « naturel » : c’est un rôle assumé depuis la nuit des temps. De près, cette évidence est loin d’être partagée par celles qui ont accepté de livrer leurs histoires face au micro. Leurs interviews déplient une multiplicité de points de vue, des univers sensibles, une complexité au travail. Perrine Maurin a ensuite lancé un appel à participation pour construire un spectacle sonore et chorégraphique autour de ces interviews. Douze femmes, amateures ou professionnelles, ont répondu présentes.
Les matériaux issus des interviews rythment la pièce comme des impacts sonores, entrecoupés de silences et de sons concrets. La scène est recouverte d’habits d’enfant pliés en petits carrés. Au cœur de cet espace poétique entre minimalisme, répétitivité et viscéralité, quelque chose du vécu commun des mères affleure, une image multiple qui pose cette immense question : « Qu’est-ce qu’être mère ? ».
Intentions
Basé sur la pratique du témoignage, ce projet souhaite explorer le vécu des mères et notamment la question du burn-out. Pour autant nous avons choisi de faire appel à la poésie, au décalage, au langage des gestes et à la musique concrète pour évoquer sur scène ces vécus. Il ne s’agit pas de faire un travail documentaire qui serait illustré sur scène. Nous souhaitons réaliser une création sensible et singulière, porter un regard personnel sur ces mères qui se construisent et tentent de faire grandir des petits êtres, citoyens du monde de demain. La responsabilité qui leur incombe, les rires et les joies, les erreurs, les angoisses, les doutes, tels sont les matériaux de base de ce projet, dans lesquels il s’agit de plonger, à notre manière, au sein d’un processus créatif précis, avec des femmes amateures (ou non) qui auront choisi de nous accompagner au cours d’un workshop de cinq jours au CCAM/Scène nationale de Vandœuvre-lès-Nancy.
Le travail chorégraphique : minimalisme, répétition & actions
Marie Cambois oriente ce travail vers une épure gestuelle et la notion d’action. Les gestes du quotidien ne seront jamais traités tels quels, ils sont repris, déplacés, détournés. Des images apparaissent puis se défont, des scènes collectives se construisent puis s’effilochent. Je travaille sur des principes de plein et de vide de l’espace, d’unité et de multiplicité des corps. La notion d’action, en lien avec l’apport scénographique des objets, est importante. Les gestes quotidiens multipliés sur scène créent une tension, une focale sur la répétitivité. Porté par des « corps-piétons » amateurs ou professionnels, ce travail nécessite une grande présence à soi, une concentration intense qui sera travaillée via la technique Feldenkrais.
Le travail scénographique : remplir & vider par vagues
La scénographie est basée sur des objets quotidiens d’enfants choisis très précisément et utilisés en grand nombre. Ils fonctionnent comme des paysages mouvants sur scène. Les principes de colonisation, de vide et de plein fondent cette construction scénographique : un espace vide, puis plein, puis rangé, puis dérangé, puis de nouveau vide / plein / rangé / dérangé chaque fois avec un nouvel et un seul élément. Les objets sont utilisés mais avec des focales très précises : habits déjà pliés en carré, gommettes larges, cubes en bois. Des couleurs, des formes, des volumes emplissent par vagues l’espace, rythment le temps, déconstruisent et reconstruisent des paysages. Les objets ne sont jamais mélangés, comme une tentative d’ordre et de rigueur dans un monde qui n’en a pas. La scénographie est toujours manipulée par les femmes, ce sont elles qui la font apparaître et disparaître.
Le travail sonore : écoute poétique & sons concrets
Fortement influencés par le travail mené avec Carole Rieussec sur un chantier précédent (La voix de son maître), nous avons choisi d’orienter le travail sonore vers l’épure et le silence. Les interviews sont traitées comme de courtes bulles sonores qui s’espacent et jouent avec l’écoute du spectateur. Trois pièces musicales d’Ernest Mollo apparaissent comme des moments de tension pour évoquer cette période de burn-out où la réalité devient folle, où le quotidien tourne sans cesse autour des femmes et les enserre. Des sons concrets viennent traverser cet espace sonore.
Le traitement des interviews & de la thématique
Aucun jugement n’est porté sur ces femmes, il n’est pas question ici de débattre de la mère parfaite versus la mère indigne. Au contraire, il s’agit de plonger avec bienveillance dans la subjectivité de ces mères, dans leur vécu, d’en garder une trace légère et vibrante comme la diffusion de sons dans l’espace, à la fois immatérielle et matérielle. A chaque femme que j’ai interviewé, j’ai posé cette question « Qu’est-ce qu’être mère ? Comment le décrire ? ».
Il leur fut parfois difficile de répondre et chaque réponse apportait des éclairages différents. Entre burn-out, injonctions de perfection, maternage, rapport au temps, à la vie matérielle, pulsions de vie et de mort, des histoires singulières et fragiles éclairent cette interrogation. Se tisse alors un faisceau de préoccupations communes, d’états de vie liés à ce qui reste pour chacune une part importante, sinon fondamentale, de leur vie de femme : être mère.
Équipe
Conception et mise en scène : Perrine Maurin
Chorégraphie : Marie Cambois
Scénographie : Su-Min Park
Création lumière : Aurélie Bernard
Assistante à la mise en scène : Nathalie Bonafé
Extrait musical : Thomas Barrière, album Primaire
Entretiens sonores : Perrine Maurin
Sons additionnels : Carole Rieussec & La voix de son maître
Mixage son : Anthony Laguerre
Administration, production : Ariane Lipp
Avec 12 participantes volontaires amateures et professionnelles : Marion Weisbrod, Noëlle Mroz, Elisabeth Tsagouris, Valérie Moreau, Nadège Héluin, Delphine Bardot, Catherine Buissière, Marie Denys, Chantal Puccio, Laeticia Thomas, Florence Rebeschini.
Partenaires
Dans le cadre de la résidence de la Cie au CCAM/Scène nationale de Vandœuvre-lès-Nancy avec le soutien aux résidences artistiques et culturelles du Conseil régional de Lorraine